Ceux dont on parle peu… et pourtant !

Par Emmanuelle Pievic, Inspectrice de l’Éducation Nationale, Paris 1/2/4 Louvre

Beaucoup de professions se sont révélées pendant cette crise. La profession enseignante également.

En une journée, au début du confinement, les enseignants ont su passer d’un enseignement classique de visu à un enseignement à distance. En termes de réactivité… bravo ! Ça n’a l’air de rien, mais cela demande une adaptation très importante. Le geste d’enseigner passe énormément par la gestuelle, le regard, la posture, la parole, la communication orale en bref… C’est comme si un chef d’orchestre s’asseyait au fond de la salle pour diriger. D’un coup, les enseignants, se voyant limités dans leurs gestes professionnels, rebondissent en un temps record et trouvent des stratégies de contournement.

Leur marque de « fabrique » est le suivi de tous les élèves. Pour cela, ils ont été imaginatifs, inventifs. Aidés du matériel informatique personnel – ils ne se posent même pas la question – il faut conserver le lien ! Celui-là, je l’appelle 2 fois par semaine. Celui-ci, je m’organise pour qu’il reçoive des documents. Ce dernier, je passe par le voisin de palier. Celui-là, je n’y arrive pas… qu’est-ce que je vais bien pouvoir inventer pour le contacter ?? Je n’ai jamais fait de visio, ma collègue me dit que c’est efficace pour motiver les élèves. Je vais essayer. Bon, ça ne fonctionne pas très bien mais c’est toujours mieux que rien et je m’en contente car les enfants sont satisfaits.

Quand il a fallu sortir du confinement, les enseignants ont eu différentes réactions : certains voulaient absolument revenir au plus vite car c’est leur métier d’enseigner en face à face, c’est ce qui fait vivre l’école. « C’est mon ADN ! » disent certains. D’autres étaient prudents, inquiets… il faut dire que le protocole sanitaire a de quoi limiter les meilleures volontés du fait de ses exigences et de la responsabilité individuelle et collective qui en découle. Mais tous ont travaillé à le mettre en œuvre. Bien sûr, cela s’est fait à plusieurs vitesses, comme un reflet des réactions classiques dans une société : certains en tête et en impulsion, d’autres plus prudents, en position d’observateurs d’abord, mais bien présents tout de même. Une dynamique de groupe s’est créée et la majorité d’entre eux a joué le jeu. Les écoles ont ouvert dans un grand soulagement et après une remise en cause complète par les équipes de leur façon de travailler : déplacement de mobiliers, organisation de sens de circulation, réflexion sur les emplois du temps, organisation des passages aux toilettes, des lavages de mains… Quels enfants faire venir ? Un vrai casse-tête… « Je ne choisis pas les élèves d’habitude, ce n’est pas mon métier de les choisir ! » ; « Je ne peux en prendre qu’un petit nombre » ; « Celui-ci comment je fais pour le prendre car j’en ai trop ? »  ; « Mais je veux prendre les élèves de ma classe, est-ce possible ? » ; « J’ai peur de mettre un pied à l’école mais les élèves veulent revenir. Je venais à 50% mais finalement je vais revenir à temps plein pour permettre à tous les élèves volontaires d’être présents » ; « Comment je fais pour continuer le distanciel que je ne peux stopper car on me dit qu’il faut continuer, mais surtout, et c’est le plus important, il est impensable de laisser de côté ceux qui ne viennent pas !… bon, pas le choix, je vais faire les deux. Cela ne me prendra pas trop de temps, j’ai l’habitude maintenant ! » ; « Je reste en distanciel car j’ai de grosses charges familiales, et pour faire ma part, je prends à ma charge le distanciel de mes collègues qui sont à temps plein !

Avec toujours le soin de rendre les choses agréables pour les enfants.

Je dois marquer la place de chacun ? Je prends de jolis autocollants.

Je dois faire un sens de passage ? Je prends des fanions de couleur.

Finalement, qui sont les organisateurs, pièces maîtresses de tout ce dispositif ? Ce sont les directrices et directeurs d’écoles.

Ils sont le lien avec les familles.

Ils motivent les troupes pour réorganiser l’école.

Ils impulsent la dynamique nécessaire à une reprise même partielle.

Ils rassurent les équipes, les familles et informent au mieux ces dernières pour limiter les angoisses.

Et pour la construction de l’emploi du temps général et de la rotation des élèves : « Quel groupe prend on ? » ; « Qui travaille en présentiel ? Qui est en distanciel ? » ; « Qui a peur ? » ; « Qui ne veut prendre que ses propres élèves alors qu’on doit d’abord prendre les CP ? » ; « Qui vient de loin et doit prendre les transports en communs ? » ; « Qui hésite pour ses propres enfants ? » ; « Qui souhaite venir en voiture pour éviter le RER mais n’a pas de places pour garer sa voiture toute la journée ? » ; « Et cet élève porteur de handicap, comment allons-nous lui faire respecter les distances de sécurité ? » ; « Qui gère l’insistance croissante des parents qui, le temps avançant, commencent à faire pression pour que leur enfant aille à l’école (et c’est bien normal) alors qu’au début peu d’entre eux voulaient que leur enfant y vienne ? » « Qui s’occupe de l’esprit de groupe pour faire en sorte que les forces soient cumulées ? » ; « Et puis qui est à la tête de l’imaginatif ? »

Et pour l’occupation de l’espace, un directeur dit : « On ne peut pas mettre assez d’enfants dans une salle pour respecter le protocole sanitaire et en même temps répondre à la demande des familles » ; « On change d’espace et on prend le préau, on pourra en accueillir plus ! ».  Et quand on ne peut pas ouvrir une école maternelle faute de moyens humains à la fois en enseignants et en personnel de ménage, on invente des écoles centrales qui vont recevoir les élèves des écoles qui gravitent autour et hop, on met un groupe de « grande section » dans l’école élémentaire voisine !

Une autre directrice : « Je veux absolument prendre « des grandes sections »! L’année prochaine ils iront en CP et nous n’avons pas pu faire liaison GS/CP ! » Hop !, une visio puis quatre coups de fil et c’est organisé !

« Qui va chercher les masques à l’inspection ? » ; « Qui répond au téléphone les jours de weekend car c’est urgent et il faut bien tout organiser pour lundi ? » ;

Lorsqu’il faut augmenter le nombre d’enfants présents, les directeurs sont les premiers soucieux. Avec l’équipe, ils réfléchissent à des solutions : augmenter un peu la taille des groupes ? Essayer de faire revenir un enseignant récalcitrant ?

Et donc un grand merci et beaucoup de reconnaissance aux enseignantes et enseignants, aux directrices et directeurs d’être aussi réactifs et à l’écoute de la demande institutionnelle et sociétale. Ils font au mieux et parfois même plus que le mieux que l’on pensait possible. Ils sont créatifs, soucieux des enfants et des familles, souhaitent que le système fonctionne et se réinventent. Bref, une réaction à l’image de toutes les professions qui sont au cœur du dispositif de gestion de crise.

Et les élèves dans tout cela ? Ils ont su s’adapter aux nouvelles contraintes, respecter les distances de sécurité, jouer différemment dans la cour, rester à leur place, même en maternelle … l’important pour eux étant d’être à L’ÉCOLE !!


Article proposé en partenariat avec :

ANCP&AF Paris : La place, le rôle, la mission du conseiller pédagogique et plus largement des formateurs du 1er degré dans un système éducatif en perpétuelle évolution est une préoccupation constante et majeure de l’ANCP&AF, Association Nationale des Conseillers Pédagogiques et Autres Formateurs.

Cette association professionnelle, de statut loi 1901, vise principalement l’établissement entre ses membres de relations fondées sur la pratique de la coopération intellectuelle et de l’entraide professionnelle. Au sein de l’ANCP&AF Paris, les rencontres et formations de formateurs organisées se donnent pour objectif principal de permettre aux formateurs d’acquérir des gestes professionnels performants et innovants pour accompagner efficacement les professeurs des écoles dans leur mission, la réussite de tous les élèves.