La continuité pédagogique à Paris / #RÉCIT N°17 : École maternelle Volontaires (15ème arrondissement)
Mme Maud Barbara est enseignante dans une classe de moyenne section (25 élèves début mars puis 8 au déconfinement dont 5 de sa classe initiale) à l’école Volontaires dans le 15ème arrondissement. Elle témoigne ici des solutions imaginées avec sa jeune collègue Mme Nina Le Moing (PES) pour maintenir le lien avec les élèves et leur permettre de continuer les apprentissages durant le confinement et pendant la reprise.
Comment s’est organisé l’enseignement à distance pour votre classe ?
Le lundi 16 mars, 1er jour de confinement, j’étais paniquée, pétrifiée à l’idée de devoir faire classe à distance. Je n’arrivais pas à imaginer comment on pouvait transmettre quoi que ce soit en télétravail pour des élèves de maternelle, l’école où l’on manipule avant toute production écrite. Au-delà du fait que cela me semblait surréaliste, j’appréhendais énormément l’outil informatique. Cet outil que j’utilise finalement très peu dans ma pratique de classe et dont je m’étais éloignée de plus en plus. J’ai finalement pris contact avec ma collègue de moyenne section, Nina Le-Moing, qui est PES. Je lui ai demandé comment elle envisageait la continuité pédagogique. Elle semblait plus sereine que moi quant à l’utilisation de l’outil informatique. Elle m’a alors transmis ce qu’elle proposait et je décidai de m’en inspirer pour faire un premier envoi aux parents de mes élèves. J’ai commencé alors mon récit et mes explications, pour que les parents d’élèves commencent à mettre en place des exercices de manipulation avec leur enfant. Mon compagnon, m’observant, me demanda alors si j’avais l’intention de leur écrire un livre… J’ai donc commencé à prendre des photos pour illustrer et raccourcir mes propos, puis l’idée de la vidéo s’est imposée. Celle-ci m’a alors permis d’éviter des écrits trop longs et probablement rébarbatifs et d’illustrer parfaitement les ateliers de manipulations que je proposais. J’ai partagé avec Nina mon courriel et nous avons décidé alors d’unir nos forces pour construire notre continuité pédagogique pour les élèves de nos moyennes sections respectives. Nous avons cherché alors ensemble des nouvelles idées à proposer à nos élèves. Dans la mesure du possible, nous avons essayé de proposer aux enfants des activités qui ne nécessitaient pas d’impression. Chacune faisait des vidéos qu’elle transmettait à l’autre. Nous sommes devenues un duo très efficace. J’ai trouvé intéressant cette collaboration. Chacune apportait son savoir-faire à l’autre. J’ai trouvé très amusant que ce soit l’enseignante PES qui ait dû rassurer l’enseignante expérimentée.
Ces vidéos envoyées en moyenne 2 fois par semaine, ont permis de transmettre des notions que je n’imaginais pas faisables à distance. Apprendre aux parents à apprendre à leur enfant à tracer des boucles par exemple. Quand un retour photographique des travaux des élèves arrivait dans ma boîte aux lettres, c’était très gratifiant et émouvant de se rendre compte que j’avais réussi à le faire à distance. Tout d’un coup, j’avais l’impression de former une équipe aussi avec les parents.
Ces retours, je les ai attendus avec impatience dans ma boîte mail, j’ai systématiquement renvoyé un mot à chaque enfant. Les photos m’ont également permis de pouvoir corriger une posture, un geste… J’ai eu beaucoup de questions de la part des parents lorsque ces derniers avaient l’impression que leur enfant était en difficulté. J’ai essayé de trouver des réponses à leurs interrogations, à leurs doutes, j’ai tenté au mieux de les rassurer. J’ai beaucoup apprécié ces échanges.
Et comment se déroule la reprise depuis le 14 mai ?
Le 11 mai, j’ai envoyé ma dernière continuité pédagogique en prévenant les parents que je reprenais le chemin de l’école à temps plein et que de ce fait, je serai bien moins réactive à leurs courriels. Cette semaine-là, seuls 3 enfants m’ont envoyé leurs travaux. J’ai eu l’impression que les enfants et les parents s’essoufflaient. 4/5 de mes élèves n’ont pas repris le chemin de l’école pour l’instant et le silence m’inquiète et m’attriste. J’ai dû confier cette semaine, la continuité pédagogique de ma classe à mon autre collègue de moyenne section qui n’est pas en présentiel. Cet arrêt de la continuité pédagogique est compliqué pour moi. J’ai le sentiment de les avoir abandonnés.
En ce qui concerne le retour en classe, je trouve que l’organisation pour les directeurs d’école est extrêmement compliquée, un véritable casse-tête. Ils ont tant de choses à gérer.
Après avoir fait le « deuil » de l’installation de nos classes respectives, nous nous sommes attelés à créer une autre école maternelle en essayant de respecter au mieux le protocole sanitaire imposé. Tout à coup, la salle de classe est devenue plus impersonnelle, elle a acquis une rigueur qu’elle n’avait pas avec des tables espacées et nominatives face au tableau, cela semble si loin de ce que doit être une classe de maternelle. C’est déchirant. Jamais, je n’avais imaginé organiser un jour ma classe comme cela. Chaque enfant a son propre matériel dans une caisse nominative…
Jeudi 14 mai, peu d’enfants ont repris le chemin de l’école. J’en attendais 8 dans ma classe et pour l’instant, seulement 6 se sont présentés. Lorsqu’ils sont arrivés dans la classe, ils ont été un peu étonnés de la disposition, de la disparition des jeux, du coin bibliothèque… Les jours suivants, les questions ont cessées et les enfants se sont adaptés bien plus vite que nous à ce nouvel environnement. Ils jouent le jeu, acceptent de se laver les mains. Ils sont coopératifs. Les activités de travail s’enchainent beaucoup plus que d’habitude. Ils sont peu nombreux, la classe est calme ainsi que l’école, ils sont bien plus concentrés et travaillent bien plus rapidement. L’ambiance est vraiment studieuse et sereine. Il est plus facile de différencier, de reprendre une notion qui n’a pas été bien acquise…
Le plus compliqué finalement à gérer, est le temps de récréation. Les enfants ont vraiment du mal à garder leurs distances. Un « mètre » est une notion inconnue pour un enfant de 4 ans ! On leur donne des craies, des petits jouets afin qu’ils s’occupent. Dès qu’ils s’approchent un peu trop, nous leur disons que ce n’est pas possible… Ils acceptent mais se collent à nouveau peu de temps après tels des berlingots.
Pensez-vous que tout ce que vous vivez/expérimentez actuellement aura un impact durable sur votre façon d’enseigner ?
Cet enseignement à distance, puis cette reprise dans des conditions si « étranges » ont forcément bousculé mes habitudes, m’ont poussée à voir et accepter les choses autrement, à partager surtout, c’est peut être le principal enseignement de cette période rien n’a été possible sans partage que ce soit avec les parents ou mes collègues (de l’école mais aussi et surtout d’autres établissements). Toute expérience finalement est enrichissante. Je sais que je garde précieusement mes vidéos qui pourront probablement me servir dans les années à venir. Pourquoi ne pas les montrer à mes futurs élèves ? Je pense que je vais aussi essayer de me familiariser à nouveau avec l’outil informatique. Cette expérience m’a permis de voir que j’étais capable de m’adapter et de trouver des solutions. Je ne sais pas encore sous quelle forme cela pourra s’inscrire de manière durable dans ma façon d’enseigner, mais je pense surtout que j’ai appris et progressé pendant cette période.
Merci Nina, sans toi cette expérience n’aurait pas été la même et probablement pas aussi enrichissante.
Article proposé en partenariat avec :
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