La Désaffiliation politique
Nous vivons de plus en plus urgemment la nécessité de réinventer des formes de démocratie « réelle », sous peine de voir se répandre dans la société tout un ensemble de mécanismes de « désaffiliation », de défiance vis-à-vis du politique et de la démocratie représentative. Bon nombre de nos concitoyens désertent de plus en plus de la vie publique, recréant des niches isolées ici ou là où une espèce d’entre soi domine. Cette séparation progressive de certains segments du corps social morcelle la population dans son ensemble, augmente un peu plus la distance entre les différentes communautés et ne permet plus de faire vivre une vraie démocratie – inclusive et toujours discutée –, ni de faire avancer la société sur une voie plus solidaire.
L’Impératif de l’imagination
Ce qui fait défaut en réalité, c’est le travail d’une imagination collective indispensable au renouveau du vivre ensemble pour forger une utopie concrète, au sein de laquelle chacun croit en la possibilité de sa vision et ait le désir de la réaliser.
Les dispositifs que nous proposons tentent de ré-ouvrir la possibilité du débat constructif, de l’impulser grâce à des protocoles imaginatifs de prise de parole, et d’encourager la production simultanée d’objets artistiques et culturels. La mobilisation des pratiques artistiques est décisive dans nos propositions afin de générer de l’innovation, de réveiller des compétences imaginaires sans lesquelles nous reproduisons indéfiniment les mêmes gestes, les mêmes organisations, les mêmes manières de faire et de penser. Jamais autant qu’aujourd’hui, cette question des imaginaires dans la politique n’a été aussi incontournable. « On ne changera pas le monde si on ne transforme pas les imaginaires », soutient Edouard Glissant.
Toutes les idéologies pragmatistes martèlent que le monde ne peut pas être autrement qu’il est, ce qui revient à nier l’idée même du politique. On peut considérer que c’est là un des rôles majeurs du travail de l’art que d’exercer nos consciences et nos sensibilités à imaginer des mondes possibles différents, à forger des langages nouveaux, à déployer nos humanités. Il nous engage à désirer des horizons invisibles à nos regards saturés de projections qui sont tracées par d’autres et qui nous échappent indéfiniment. Walt Whitman rappelait déjà à la fin du XIXème siècle « qu’il n’y aura aucune avancée dans la démocratie, sans appel à l’imagination que porte en elle la poésie », sous toutes ses formes.
La démocratie ne se résume à pas l’illusion d’un paradis et elle ne peut se satisfaire de compter les voix par intermittence, ou de se qualifier de « participative ». C’est pourquoi nos dispositifs mobilisent l’idée d’une « démocratie contributive » au sein de laquelle le citoyen, à son échelle directe, donne, reçoit, s’engage.
Un Laboratoire d’innovation démocratique :
Nombreux sont ceux qui n’ont plus le sentiment de participer et de contribuer à la société au sein de laquelle ils vivent. Les méthodologies développées avec Le Vent se Lève…!, à partir des performances poético-politiques conçues par Jean-Pierre Chrétien-Goni, directeur du lieu et enseignant-chercheur au CNAM, ont trouvé un premier aboutissement au sein d’un Laboratoire Associé à la Fédération de Paris de la Ligue de l’Enseignement, sur les questions d’« Art, Culture et Société ». Un ensemble de dispositifs – protocoles de démocratie contributive – a ainsi été développé et expérimenté ces dernières années.