La continuité pédagogique à Paris – #RÉCIT N°9 : La circonscription 12A-3

 

A la suite des mesures prises de fermeture des établissements scolaires, Chrystelle Muniglia-Raynal, Inspectrice de l’Education nationale, nous livre le récit des mesures prises dans sa circonscription pour maintenir une continuité pédagogique pour l’ensemble des élèves.

 

Comment s’est organisée la continuité pédagogique au lendemain de l’annonce présidentielle ?

Après l’annonce présidentielle du 12 mars, de nombreux enseignants ont fourni le vendredi 13 mars du travail pour toute la semaine suivante à leurs élèves, qui sont partis chez eux avec l’ensemble de leurs cahiers et manuels dans leur cartable. Cela devait leur permettre de pouvoir ensuite travailler depuis leur domicile dans l’ensemble des domaines en s’appuyant sur des outils de référence connus.

 

De mon côté, j’ai informé les équipes pédagogiques de ma circonscription qu’elles devaient se rendre dans leur école le lundi 16 mars pour se concerter et organiser les modalités retenues pour la mise en œuvre de la continuité pédagogique auprès de leurs élèves. Il fallait aussi pouvoir accueillir les enfants de personnel soignant dès le lundi 16 mars, d’abord dans leur école, puis à compter du 17 mars dans les écoles de regroupement. La réactivité des directeurs d’école a été très précieuse pour assurer l’accueil le 16 mars et communiquer avec les parents.

 

Ce 16 mars j’avais programmé de longue date une réunion de directeurs que j’ai du annuler pour respecter les consignes sanitaires et permettre aux directeurs d’organiser la continuité pédagogique au sein de leur école.

Je me suis entretenue par téléphone avec chacun d’entre eux pour donner des consignes, m’assurer de la mise en œuvre effective de la continuité pédagogique auprès des élèves et m’informer des modalités retenues. Ce contact continue.

 

Ces premiers jours qui ont suivi l’annonce présidentielle ont constitué une sorte de course contre la montre pour les inspecteurs de l’Education nationale (IEN). Il a fallu d’une part informer les écoles au fur et à mesure que nous prenions nous-mêmes connaissance des directives ministérielles et académiques ; et proposer des mots à destination des parents ; il a fallu d’autre part organiser l’accueil des enfants de personnel soignant, en étroite collaboration avec les cheffes des Circonscriptions des Affaires scolaires et de la Petite enfance (CASPE), nos partenaires pour la Direction des Affaires scolaires de la ville de Paris (DASCO). Il s’agissait d’identifier les écoles de regroupement, leur nombre au regard des élèves potentiellement attendus, de recenser les personnels enseignants et périscolaires volontaires, d’établir des plannings d’intervention par demi-journée durant toute la période de confinement, délivrer aux enseignants des attestations de déplacement signées en amont de leurs interventions. J’en profite pour saluer et remercier le grand nombre d’enseignants et de directeurs qui se sont spontanément portés volontaires.

 

De quel accompagnement les enseignants ont-ils bénéficié ?

Les enseignants ont d’abord bénéficié rapidement d’envois de ressources par mail.

 

Puis avec les conseillères pédagogiques, nous avons créé une rubrique « continuité pédagogique » sur le site de circonscription, déclinée par onglets selon les domaines et les niveaux de classe. Cela a nécessité un gros travail de lecture et de tri : il s’agissait pour moi de fournir aux enseignants de ma circonscription en un seul clic à la fois les liens utiles vers des ressources créées par l’académie, et à la fois les ressources émanant de la circonscription et initialement transmises par mail.

J’ai fourni prioritairement des documents pour les élèves de PS et MS, qui ne sont pas concernés par les enseignements du CNED. Mais cette rubrique « continuité pédagogique » recense aussi des ressources créées par des enseignants de la circonscription qui souhaitaient mutualiser ; s’y ajoutent aussi des sites intéressants identifiés par des directeurs. Cette rubrique est régulièrement actualisée.

Les conseillères pédagogiques sont aussi à la disposition des enseignants par mail pour répondre à leurs questions, leur fournir des ressources précises et des conseils le cas échéant.

Je me rends par ailleurs régulièrement dans les écoles de regroupement : c’est un moyen de m’assurer que tout se passe bien et de soutenir et remercier directement les enseignants et directeurs volontaires présents ces jours-là. Et ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant, c’est la formation entre pairs : les directeurs et enseignants volontaires dans ces écoles viennent de toutes les écoles de la circonscription : ils font connaissance, échangent sur leurs pratiques respectives, se donnent des idées et mutualisent ainsi les bonnes pratiques. Une directrice de maternelle a par exemple expliqué et montré à des collègues l’ENT et son utilisation dans son école. Les collègues ont décidé de l’utiliser à leur tour !

Qu’est-ce que le télétravail apporte aux enseignants ? Aux élèves ?

Il est particulièrement intéressant de constater que le télétravail a permis aux enseignants et élèves, outre de maintenir le lien, de se saisir de l’outil numérique et de développer leurs compétences dans ce domaine :

  • édition de listes de diffusion par mail ;
  • classes virtuelles avec des groupes d’élèves qui tournent, pour que chacun voie l’ensemble de ses camarades au bout de plusieurs classes virtuelles pour maintenir l’idée de groupe classe ;
  • classes inversées ;
  • mise en ligne d’informations sur l’ENT (Espace numérique de travail) ;
  • cahiers multimédias ;
  • carnets de liaison numérique ;
  • dépôt et de retrait de documents (y compris photos) via le casier virtuel
  • blogs de classe ;
  • enregistrement d’une histoire, d’une chanson par l’enseignant ;
  • enregistrement de l’enfant pour effectuer un travail oral ;
  • newsletters de l’école aux familles ;
  • création d’une chaîne You Tube privée pour les 9 familles d’enfants autistes de l’école polyvalente St Martin animée par la psychologue du SESSAD : les enfants peuvent ainsi garder un lien visuel avec l’équipe de l’unité et les parents peuvent obtenir des conseils, des idées d’activités.

 

Au sein d’une équipe pédagogique, les conseils des maîtres continuent sous forme de visioconférences. Les échanges via l’ENT et la messagerie électronique favorisent un travail d’équipe et une mutualisation des ressources souvent plus développés que lorsque chaque enseignant gère « simplement » sa classe au quotidien.

Pour les élèves, cela permet de conserver un lien avec sa classe, de se voir par exemple souhaiter son anniversaire par le dépôt (orchestré par l’enseignant) dans son casier numérique d’un dessin de la part de chacun de ses camarades de classe le jour J.

Autre exemple en maternelle : participer à un « défi monstres » pendant les vacances de printemps pour créer le monstre le plus monstrueux à l’échelle de toute l’école. Il s’agit ensuite pour chaque élève de décrire son monstre (objectifs langagiers), puis dans un troisième temps de créer un jeu fédérateur sur le modèle de Qui est-ce ?

Dès la maternelle, les enfants apprennent à cliquer pour demander la parole, à attendre leur tour, à prendre la parole dans un micro.

En élémentaire, en plus des deux visioconférences hebdomadaires de 45 minutes, bon nombre d’enseignants proposent à leurs élèves une permanence sur des créneaux horaires d’1h30 deux fois par semaine : cela permet à l’élève de poser des questions précises à son enseignant favorisant ainsi largement l’individualisation et la différenciation pédagogique.

Quels problèmes avez-vous rencontré dans la mise en œuvre de la continuité pédagogique auprès de tous les élèves ?

Ils sont de plusieurs ordres.

D’abord, il y a les élèves en grande précarité qui ne disposent ni d’outils numériques ni de matériel pédagogique. Pour ces familles, notamment celles hébergées dans des centres d’hébergement d’urgence (CHU), des directeurs et enseignants du Réseau d’Aide Spécialisée (RASED) se sont organisés :

  • Prêt de matériel ou « kit pédagogique » (ex. : jeux – de société, de cartes et Kapla –, pâte à modeler, livres, magazines) pour les familles éloignées de la culture scolaire, y compris dans les foyers/CHU, où la situation est parfois extrême : confinées dans leur chambre, les salles communes sont fermées et le wifi n’est pas débloqué pour les résidents.
  • Photocopie de supports papier pour les familles identifiées, qui peuvent venir chercher leur enveloppe à l’école de leur enfant ou à proximité de leur domicile sur RV en combinant cette sortie avec des courses. Le partenariat mis en place avec la poste depuis facilite la copie et l’envoi de documents papier.
  • J’ai mis en place une permanence téléphonique deux heures deux fois par semaine avec des psychologues de l’Education nationale. Nous réfléchissons aussi à la mise en place de groupes de parole au moment du déconfinement.

 

Ensuite il y a ceux qui ne disposent simplement pas d’ordinateurs à la maison. L’Education nationale a pu mettre en place le prêt de matériel numérique en partenariat avec la Ville pour les familles identifiées. Il s’est parfois posé la question de la maîtrise de l’outil par les familles.

Enfin, il y a ceux qui disposent d’un ordinateur à la maison mais qui doivent le partager avec leurs parents en télétravail et leurs frères et sœurs qui ont aussi du travail scolaire à effectuer.

Pour ces derniers comme pour les autres, j’ai dû servir de médiatrice et intervenir directement auprès de quelques enseignants dont les parents s’étaient plaints qu’ils donnaient trop de travail. L’enjeu était de ne pas « perdre » des élèves en les décourageant. Il fallait faire comprendre aux enseignants concernés que parfois les familles sont en difficulté face à tout le travail demandé, soit parce que les parents sont eux-mêmes dans l’incapacité d’aider leurs enfants, soit parce qu’ils doivent jongler entre télétravail et travail scolaire des enfants, dans des conditions matérielles parfois peu propices. La flexibilité est donc de mise.

Reste le cas, heureusement très peu nombreux, des familles « injoignables » qui ne répondent à aucune sollicitation de leur enseignant ou du directeur. A charge alors pour les assistants sociaux, prévenus, de prendre le relai.

Se pose aussi la question de l’apprentissage de la socialisation et des apprentissages par la manipulation, prégnants en maternelle. Il est indéniable que l’enseignement à distance ne peut répondre que partiellement à ces situations d’apprentissage. Lors du retour en classe, les enseignants devront prendre en compte cette dimension et adapter leur enseignement.

Qu’en restera-t-il ?

Les enseignants ont montré leur grande capacité d’adaptation. Leur pratique pédagogique a su évoluer pour répondre à l’urgence de la situation inédite que nous vivons.

Une majorité d’enseignants s’est emparée de nouveaux outils.

La différenciation pédagogique, par téléphone ou par des créneaux virtuels individualisés avec chaque élève, a été favorisée. Elle devra être poursuivie.

Le lien avec une majorité de familles a pu être consolidé via une communication plus directe et quotidienne.

Si le distanciel ne remplace pas le présentiel – on le voit en particulier avec les élèves les plus fragiles –, il constitue néanmoins une plus-value pédagogique qu’il conviendra de continuer à exploiter une fois de retour en classe.

Cet épisode de confinement montre aussi le fort engagement des enseignants, dans un esprit de mutualisation et de travail d’équipe renforcé qu’il faudra ici encore pérenniser.

Il montre aussi les enjeux de la formation au numérique et du déploiement de matériel numérique dans les écoles.


Article proposé en partenariat avec :

ANCP&AF Paris : La place, le rôle, la mission du conseiller pédagogique et plus largement des formateurs du 1er degré dans un système éducatif en perpétuelle évolution est une préoccupation constante et majeure de l’ANCP&AF, Association Nationale des Conseillers Pédagogiques et Autres Formateurs.

Cette association professionnelle, de statut loi 1901, vise principalement l’établissement entre ses membres de relations fondées sur la pratique de la coopération intellectuelle et de l’entraide professionnelle. Au sein de l’ANCP&AF Paris, les rencontres et formations de formateurs organisées se donnent pour objectif principal de permettre aux formateurs d’acquérir des gestes professionnels performants et innovants pour accompagner efficacement les professeurs des écoles dans leur mission, la réussite de tous les élèves.