Lors de la rédaction de ce témoignage, en juillet 2020, Vincent Philippart était enseignant de CM2 à l’école élémentaire 15 Bauches, dans le 16ème arrondissement de Paris.
1 – Qu’est-ce que pour vous « enseigner » ?
Enseigner, c’est transmettre des savoirs, construire des compétences chez et avec l’élève, installer durablement des méthodes de travail, viser l’autonomie, c’est faire de l’élève un acteur de sa scolarité, qui s’interroge sur ce qu’il sait et sa manière de faire sous le regard et la guidance bienveillants de l’enseignant.
Enseigner c’est faire vivre un groupe classe pendant 10 mois, le comprendre, apprendre à le percevoir au quotidien, savoir le « sentir » au plus près. C’est susciter une émulation, un esprit de groupe, d’entraide. C’est utiliser la force du groupe pour le développement de chacun.
Dans le cadre de ce groupe, enseigner c’est savoir diagnostiquer précisément chaque élève, ses forces, ses points à améliorer, à renforcer, quel que soit son niveau, sa marge de progression, c’est fixer un horizon pour chacun. C’est appréhender chaque élève dans ce qu’il est, loin de toute étiquette.
Enseigner, c’est aussi se remettre en question, comprendre ce qui n’a pas fonctionné dans ce qu’on a proposé, savoir identifier et garder ce qui marche, l’améliorer, s’adapter, toujours, au groupe et aux individus qui le composent.
Enseigner, c’est chercher la meilleure manière de faire progresser un élève.
2 – Et apprendre ? Quelle(s) composante(s) vous semble(nt) essentielle(s) à l’acte d’apprendre ?
Apprendre, c’est comprendre ce qu’on me propose, comprendre ce vers quoi je vais, comprendre les étapes qui m’y mènent. Apprendre, c’est quitter mes représentations dans la certitude d’une meilleure connaissance, c’est parvenir à modéliser, à établir des invariants à partir de ce que j’observe, c’est réfléchir à ce qui fait la règle, retenir ses exceptions. Apprendre c’est donner du sens à ce que je fais, en progressant vers un but clairement défini, c’est répéter des gammes et automatiser. C’est accepter de rater, de ne pas réussir tout de suite, de faire des efforts, de me remettre au travail et d’essayer de nouveau. C’est mobiliser mes connaissances au moment où j’en ai besoin, pour pouvoir les mobiliser j’ai dû les structurer, les organiser, les ranger « au bon endroit ».
Apprendre c’est d’abord arrêter de m’empêcher, me permettre, m’autoriser. C’est prendre confiance en moi, me sentir capable, encouragé par un regard et par mes réussites.
3 – Dans le cadre de la continuité pédagogique, qu’avez-vous mis en œuvre pour servir ces composantes ?
Il y a eu de l’entrainement, d’abord, pour tout ce qu’on avait déjà vu et qu’il fallait continuer à parcourir, à arpenter, pour consolider les acquis. Réviser, revoir, répéter ses gammes, régulièrement.
Quand il a fallu aborder de nouvelles notions, il a fallu trouver comment les faire découvrir aux élèves. De deux manières : en proposant des capsules vidéos (type classe inversée), qui devaient être choisies avec beaucoup de soin (ancienneté, conformité aux programmes, mais aussi forme, pas trop ludique, pas trop rébarbative, suffisamment condensée mais pas trop synthétique, suffisamment explicite et pouvant déboucher sur une leçon simple à retenir, efficace…) pour commencer la séquence, ou pour la poursuivre (plusieurs capsules sur une même notion en fonction de sa forme) ; en proposant des « classes virtuelles », préparées avec grand soin et en lien avec les vidéos proposées (avant ou après la classe virtuelle), avec une fiche de préparation détaillée et des slides créés et importés, avec des questions / réponses en fin de visio pour les élèves en demande. Puis du travail individuel, avec des exercices en ligne et des exercices sur cahier pour alterner les supports et maintenir la motivation. Chaque élève devait envoyer son travail dans la journée par mail (photos en PDF) ou SMS, et la correction de ce qu’il avait fait était envoyée dans l’heure afin qu’il puisse reprendre son travail. La correction par le maitre devait mettre en évidence les réussites des élèves davantage que ce qui était raté, tout en pointant ce qu’il fallait améliorer.
Lorsqu’un élève semblait passer à côté de la notion, ne pas avoir compris, il fallait entamer un dialogue avec lui, par mail, par SMS ou téléphone, afin de redresser la barre, redonner les points clés, renvoyer à une vidéo, à une leçon.
Chaque semaine, deux visios en forme de point d’étape permettaient aux élèves de poser des questions sur telle ou telle notion ou travail abordés, avec explications sur tableau véléda à la clé. Certains élèves qui avaient semblé un peu perdus étaient vivement invités à se connecter pour bénéficier de la réflexion et des questions des autres.
Quand un élève semblait décrocher, qu’il restait sans donner de nouvelles plusieurs jours d’affilée, il fallait le contacter individuellement, par mail d’abord, en mettant les parents dans la boucle, en téléphonant éventuellement ; il a parfois fallu remotiver certains en direct.
Pour garder la motivation de tous, chaque menu quotidien était fait de travail sur les fondamentaux (français, lecture, maths) en variant les formes et les supports (merci la #teamPE des réseaux sociaux pour tous les partages !), mais aussi de travail en sciences, en géographie, en histoire, en anglais, avec également chaque jour des « bonus » et autres « desserts » ludiques, créatifs, sur des sites web culturels, interactifs, avec des tutos d’arts plastiques, des liens vers des émissions et des reportages, des défis lancés aux élèves, etc.
Afin de ne pas oublier ce qui était fait, on a davantage fait de « spiralaire » qu’en classe, en revenant plus régulièrement sur les notions vues.
4 – Dans le cadre de la continuité pédagogique, quelle(s) limite(s) inhérentes à l’enseignement-apprentissage à distance avez-vous rencontrées ?
La première limite est le report du regard du maitre porté sur le travail : le lien élève / enseignant n’étant plus direct mais différé, il fut parfois difficile de percevoir la manière dont le groupe / chacun appréhendait telle notion, s’emparait de tel travail. En classe on s’aperçoit rapidement de cela, avec l’expérience, ce qui permet de s’adapter très vite et de guider individuellement et collectivement en collant au plus près du processus d’apprentissage. En distanciel, c’était très difficile, cela donnait d’autant d’importance à la préparation et à la conception des séances quotidiennes et leur articulation dans le temps quotidien et hebdomadaire.
Autre limite : les fluctuations de motivation de chacun, en raison du contexte très particulier, parfois anxiogène, de la configuration domestique et familiale ; il arrivait qu’un élève n’ait pas trop le moral, n’arrive pas à travailler ce jour-là, ou plusieurs jours d’affilée. Les aléas sont bien davantage maitrisables dans le cadre de la classe.
Alors qu’en classe on joue beaucoup sur l’effet groupe, l’émulation, l’entraide et l’effet d’entrainement, on a souffert de ne pas pouvoir utiliser cela. De même, les relations sociales, orales, les discussions, la possibilité de rebondir sur ce que l’autre dit, n’étaient pas possibles, même en visio.
La maitrise de la temporalité offerte par les rituels horaires de la classe était absente, elle qui aide à structurer les journées et les apprentissages.
Et bien sûr, les élèves en difficulté, ceux qui ont besoin plus que les autres de tout ceci qui propose un cadre et donne un squelette, ont pâti du distanciel.
5 – Pensez-vous que la réflexion menée aura des répercussions durables sur vos pratiques d’enseignement et cela dès la rentrée prochaine ?
Il est difficile d’en être sûr pour le moment mais je veux croire que oui. Parce que j’ai découvert de vraies pépites en termes de contenus sur le web, notamment pour ce qui est des capsules vidéos de classe inversée. D’ailleurs, lors du déconfinement, j’ai continué à en utiliser très régulièrement, grâce au TNI de ma classe. Autre répercussion : le distanciel m’a amené à reconsidérer le concept de « leçon » et de « trace écrite ». Durant le confinement j’ai fait évoluer mes leçons vers davantage d’efficacité, en les raccourcissant, en proposant des synthèses, des cartes mentales, quelque chose de moins narratif et de moins long. Je suis presque sûr de poursuivre dans cette voie.
Je pense aussi continuer à travailler davantage en spiralaire, revenir plus souvent et de manière incidente sur les notions vues en amont.
Enfin, je compte communiquer davantage avec les parents, le lien établi avec la plupart durant le confinement a été très satisfaisant, et de ce point de vue l’arrivée d’un ENT l’année prochaine dans l’école m’aidera j’espère à construire cette continuité école / maison.