Madame Alexandra Nottoli est professeure des écoles spécialisée au sein d’un hôpital de jour du 19ème arrondissement. A son tour, elle nous livre son récit : comment permettre à chaque élève de pouvoir continuer à apprendre et progresser dans ses apprentissages à son rythme et en fonction de ses besoins.
Pour rappel, les unités d’enseignement spécialisé sont apparues avec la loi de 2005. Ces dispositifs où exercent conjointement des enseignants et des personnels soignants existent dans différentes structures : hôpitaux, hôpitaux de jour, IME, IMP, ITEP, écoles. Le fonctionnement d’une unité d’enseignement dépend du public accueilli et du lieu d’implantation. Un projet pédagogique et thérapeutique est construit pour chaque enfant accueilli. Il définit le nombre d’heures et les modalités de suivi par l’enseignant. Au sein de la structure dans laquelle intervient mme Nottoli, 15 enfants sont accueillis. La majorité des prises en charge sont individuelles et n’excèdent pas 1h30 par enfant et par semaine.
Comment avez-vous pensé la continuité pédagogique au sein de l’hôpital de jour ?
De manière générale, les élèves pris en charge au sein d’unités d’enseignement ont des profils très différents. Celle dans laquelle j’enseigne vise tantôt la mise en place et l’accompagnement de la scolarisation (pour les élèves accueillis par ailleurs en milieu ordinaire), tantôt l’entrée dans les apprentissages et la prise en charge complète de la scolarité (pour les élèves atteints de troubles sévères uniquement pris en charge à l’hôpital de jour). Ainsi, il a été nécessaire d’adapter la continuité pédagogique mise en place à chaque enfant.
Quelle a été votre première action à l’annonce du confinement ?
Dès le début du confinement, une réflexion en équipe a été menée sur la structuration du temps et de l’espace. Les routines habituelles étaient chamboulées. Il fallait donc en instaurer de nouvelles, proches de celles que les enfants connaissaient.
Le contact avec les familles s’est majoritairement établi par téléphone. Nous les avons accompagnées dans l’organisation de leur journée au regard de l’âge et des capacités de leur enfant : quelles activités proposer ? A quel moment ? Combien de temps ? Quel rythme privilégier à l’échelle de la journée ? Mais aussi comment poser un cadre, des limites, structurer l’espace ?
J’ai également préparé un document répertoriant toutes les activités que les parents pouvaient proposer à leurs enfants, ne nécessitant pas de matériel particulier. J’ai veillé à leur expliquer pourquoi telle activité était proposée, ce que l’enfant y apprenait, et comment les parents pouvaient mener cette activité pour que celle-ci ait du sens.
Les activités proposées étaient de natures diverses : motricité globale, motricité fine, catégorisation, jeux symboliques, activités de la vie quotidienne (mettre la table, passer l’éponge…), activités sensorielles… ; mais également pour certains élèves : des jeux de société, des activités de lecture et d’écriture, de mathématique ancrées dans leur vécu.
Enfin, dès le début du confinement, j’ai veillé à me mettre en lien avec les partenaires (référent.es, soignant.es et professeur.es des enfants scolarisés). L’objectif était que nous nous coordonnions pour harmoniser les prises en charge, établir les priorités et ne pas multiplier les appels. Pour les enfants scolarisés, il nous a semblé essentiel de mettre en place une co-intervention complémentaire et constructive.
Qu’avez-vous mis en place dans les semaines qui ont suivi ?
Pour les enfants scolarisés, le suivi a été de deux sortes. Pour ceux accompagnés par leur enseignant.e et ne rencontrant pas de difficulté particulière, je suis restée disponible pour communiquer régulièrement aux collègues les informations qui leur étaient nécessaires pour adapter au mieux leur continuité pédagogique et rendre les contenus accessibles à chacun.
Pour d’autres élèves et toujours en concertation avec leurs enseignants, le suivi s’est concrétisé en classe virtuelle ou par téléphone, soit par un soutien en lien avec les contenus pédagogiques envoyés, soit par un accompagnement de l’élève et des parents à la structuration du temps, de l’espace et du cadre de travail. Ce suivi a été quotidien, et un retour a été fait régulièrement à l’enseignant.e quant aux difficultés/réussites rencontrées par l’élève. Pour certains enfin, nous avons co-construit des contenus pédagogiques avec l’enseignant.e.
Pour les élèves qui ne sont pas scolarisés ou bien pour qui la continuité n’a pu se mettre en place au regard de leurs troubles sévères, j’envoyais quotidiennement des contenus adaptés aux compétences des enfants, et nous faisions plusieurs fois par semaine des séances en classe virtuelle, en présence des parents, qui étaient invités à participer. Il s’agissait de proposer des activités en lien avec les réussites et les centres d’intérêt de l’enfant : jeux de doigt, comptines, histoires lues, pâte à modeler, percussions corporelles, activités physiques, activités de motricité fine et de tri… Pour ces enfants, notre suivi et nos prises en charge se sont prolongés pendant les vacances afin de ne pas rompre la continuité engagée.
D’autres choses ?
Oui. Au sein de l’hôpital de jour, bien que la majorité des prises en charge soit individuelle, je travaille avec un groupe d’élèves sur les compétences orales. Ainsi, chaque semaine, j’ai posé ma voix sur plusieurs histoires que nous avions étudiées, et je leur ai transmis, afin de garder un lien entre nous et un fil conducteur jusqu’à la fin de l’année. A leur tour, les élèves devaient s’enregistrer pour partager une histoire lue ou écoutée avant le confinement.
Enfin, j’ai été sollicitée par les Centre Médico-Psychologiques (CMP) de mon secteur pour venir en aide à des familles démunies face à cette continuité pédagogique. En tant qu’enseignant.e spécialisé.e, nous avons aussi un rôle à jouer en tant que personne ressource. Cet aspect du travail fut très enrichissant. Il m’a permis d’accompagner des enseignant.es rencontrant des difficultés pour proposer des contenus pédagogiques adaptés aux besoins éducatifs particuliers d’un élève ; mais également des familles qui ne parvenaient pas à proposer un cadre d’apprentissage adapté, ou bien qui étaient démunies dans la passation des contenus pédagogiques.
Que restera-t-il de cette expérience ?
L’enrichissement de la coopération à tous les niveaux : avec les enseignant.es d’une part, avec qui les échanges se sont multipliés. Avec les parents également, qui ont été parties prenantes des séances, et qui se sont davantage confiés, sur leurs difficultés, leurs doutes par rapport à leur enfant. Nous avons pu également constater que ces séances organisées en tryptique (parent – enseignant – enfant) ont amené certains parents à avoir un autre regard sur leur enfant, sur ses capacités, ses possibilités. Nous avons enfin pu sensibiliser les parents sur les bons comportements à adopter pour aider leur enfant à progresser (ne pas faire à la place de l’enfant, mais être acteur de la séance avec l’enseignant.e).
Enfin la coopération s’est renforcée avec les soignant.es, avec lesquels nous avons tenté au mieux de coordonner nos actions. En présentiel, nous sommes très contraints par les emplois du temps des enfants qui sont très morcelés : entre l’école, l’hôpital, les soins à l’extérieur (orthophonie, shiatsu, équithérapie,…), il est parfois difficile de conjuguer le soin et la scolarité. N’ayant plus ces contraintes, nous avons pu repenser un emploi du temps « confiné » et définir des objectifs prioritaires pour chaque enfant.
Quelles sont vos perspectives ?
A l’avenir, j’aimerais mettre en place deux actions. La première : poursuivre la coopération avec les parents, en les invitant à participer à des séances en classe. La deuxième : créer un cybercarnet répertoriant toutes les activités proposées, pour chaque enfant. En effet, les contenus proposés sont envoyés aux familles par mail ou message. Il est donc difficile de retrouver des activités qui ont été proposées plusieurs semaines en amont. Les soignants envoient également des contenus, par les mêmes biais. Ces propositions d’activités sont amenées à se perdre et ne sont pas réutilisées par les familles. Avec cet outil, nous pourrions permettre à chaque famille d’avoir accès à toutes les ressources proposées pour leur enfant ; chaque contenu serait adapté aux compétences de l’enfant, répertorié en fonction de thématiques (activités motrices / activités sensorielles / etc.) et les parents pourraient se saisir de ces contenus à tout moment.
Article proposé en partenariat avec :
ANCP&AF Paris : La place, le rôle, la mission du conseiller pédagogique et plus largement des formateurs du 1er degré dans un système éducatif en perpétuelle évolution est une préoccupation constante et majeure de l’ANCP&AF, Association Nationale des Conseillers Pédagogiques et Autres Formateurs.
Cette association professionnelle, de statut loi 1901, vise principalement l’établissement entre ses membres de relations fondées sur la pratique de la coopération intellectuelle et de l’entraide professionnelle. Au sein de l’ANCP&AF Paris, les rencontres et formations de formateurs organisées se donnent pour objectif principal de permettre aux formateurs d’acquérir des gestes professionnels performants et innovants pour accompagner efficacement les professeurs des écoles dans leur mission, la réussite de tous les élèves.