La continuité pédagogique à Paris / #RÉCIT N°6 : École maternelle 22 Tandou (19ème arrondissement)

 Cécile Duquenne a 15 ans d’ancienneté. Elle a enseigné en élémentaire dans le 18ème en REP+ puis au Lycée Français de New York et travaille depuis 5 ans en maternelle en REP à l’école 22 TANDOU dans le 19ème. Cette année, elle a un double niveau PS-MS de 22 élèves et travaille avec une ASEM et une AESH à mi-temps.

Comment vous y êtes-vous prise pour mettre en place l’enseignement à distance?

En appelant des amies! J’aime travailler en équipe depuis toujours, aussi dès que nous avons été informé.es de la fermeture des écoles le jeudi soir, mon premier réflexe a été de contacter mes anciennes collègues rencontrées au Lycée Français de New York et travaillant, pour Delphine Martin-Moldovan à Hong Kong et pour Annaïg Herzig à Tokyo. En enseignement à distance respectivement depuis 2 mois et une semaine au moment où on fermait les écoles en France, elles ont pu m’éclairer sur les outils qu’elles utilisaient pour travailler avec leurs élèves.

Le partage de leurs expériences m’a été d’autant plus précieux que j’ai été malade (coronavirus) dès le samedi 14 mars. Je n’étais pas en état de réfléchir à la mise en œuvre de l’enseignement à distance toute seule. J’étais cependant confrontée à un écueil : mes deux amies utilisaient Google Drive, ce que je ne pouvais absolument pas faire. J’ai exploré le site de l’académie de Paris et j’ai découvert, ébaubie, que nous avions un cloud académique sous la forme d’une Synbox ! J’ai donc créé la mienne en moins d’une minute avec mes identifiants académiques et je me suis lancée dans le partage de fichiers avec les parents dès la première semaine. En quelques jours, j’ai su quoi utiliser et dans quel but. Merci les amies !

Quels sont les outils que vous utilisez ?

Avant toute chose, comme tout le monde je pense, j’ai envoyé un courrier électronique aux familles pour leur demander de leurs nouvelles, les rassurer sur le fait que je n’allais pas les laisser sans soutien et qu’en attendant un nouveau courrier leur indiquant les outils que nous allions utiliser, elles pouvaient me joindre par ce biais pour toute question ou demande. Nous conservons cet outil pour communiquer entre nous. J’appelle par ailleurs régulièrement les familles qui me semblent les plus en difficulté.

La Synbox nous sert à échanger pour le travail. J’y dépose des fichiers audios, des photos et des vidéos, jamais de documents à imprimer ou à lire avec des instructions : beaucoup de familles n’ont pas de matériel informatique, encore moins d’imprimante, tout se passe pour la plupart sur les téléphones portables. Pour certaines, j’envoie individuellement les vidéos chaque jour car elles n’ont pas l’habitude d’utiliser un cloud et/ou ont des difficultés à accéder à la Synbox sur leurs téléphones. J’estime envoyer chaque jour de quoi mobiliser les enfants une heure : regarder l’histoire du jour lue par mes soins ou ceux de mon amie et collègue de Vitry, Emilie Davanture (nous travaillons sur un projet commun, ce qui nous permet de nous répartir la charge de travail car faire des vidéos, c’est chronophage !), chanter les chansons apprises en classe ou les nouvelles, réaliser un travail d’arts, de graphisme, de motricité, de numération ou autre… Je ne souhaite ni mettre la pression aux familles en envoyant trop de choses, ni perdre la motivation de mes élèves. Pour susciter l’envie des enfants de se lancer dans le travail chaque jour, je fais une vidéo-accueil quotidienne pour laquelle j’invente une nouvelle « bizarrerie » (gommette sur le bout du nez, fourchette dans les cheveux, lunettes de soleil, dent noircie, etc.), je prétends ne rien remarquer de bizarre mais les incite à reproduire à la maison cette bizarrerie s’ils.elles la repèrent et à m’envoyer une photo. Gros succès !

Enfin, pour ritualiser encore davantage les temps de travail à la maison, j’ai mis en place deux RDV quotidiens en visioconférence avec ma classe, l’un à 9h30, l’autre à 11h15 (tout le monde n’est pas du matin…) J’ai procédé par ajustements successifs : je n’avais qu’un créneau au début et….. c’était le chaos, comme on peut l’imaginer ! J’ai vite établi les deux créneaux actuels et je viens de décider, au bout de quatre semaines, de réserver le créneau de 9h30 aux Petits et celui de 11h15 aux Moyens, à l’exception du vendredi où tout le monde pourra se connecter à l’heure souhaitée pour voir les camarades de l’autre niveau. Nous travaillons lors de ces visios, nous faisons de la numération, de la phono, du travail sur le langage écrit, et les compétences des Petits sont trop éloignées de celles des Moyens en cette fin d’année, ce qui suscite un certain ennui chez les derniers et une grosse frustration de ne pas y arriver chez les premiers. Tout le monde a énormément de plaisir à se voir et à s’entendre, la plupart des enfants respecte bien les règles de vivre ensemble qui avaient déjà été mises en place en classe (je ne crie pas, j’écoute les personnes qui parlent, si je veux parler je lève le doigt), même si quelques-un.es, fasciné.es par leur propre image, font un peu les coquins en grimaçant, se levant, gigotant… Parfois je ne vois que des pieds en l’air sur un canapé, mais je sais que l’enfant en question écoute attentivement la chanson que je chante, les pieds battent en rythme !

J’ai tous les jours entre 10 et 15 élèves qui se connectent. Tout ce petit monde est ravi quand nous avons une invitée surprise, comme Corinne Vilkoviskis (la directrice), Nadia Mimoun (ASEM de la classe) ou Magali Westerblom (AESH). On voit aussi les papas et les mamans, les petits frères ou petites sœurs qu’on voyait le matin à l’accueil, bref on garde le lien avec les personnes, petites et grandes, qui constituent la communauté élargie de la classe 5 de l’école maternelle 22 Tandou. Et pour celleux qui ne se connectent pas avec nous le matin, ce lien-là est conservé grâce aux retours des parents, ces photos et ces vidéos du travail réalisé à la maison, mais aussi du jardinage, des jeux, de la cuisine, des moments de vie du quotidien qu’ils.elles veulent partager avec leurs camarades, photos et vidéos avec lesquelles je réalise un petit montage filmé, bilan de chaque semaine qui vient de s’écouler.

Penses-tu que cette expérience d’enseignement à distance va changer tes pratiques ?

Oui, et sans doute d’une façon qui m’échappe encore partiellement. J’envisage pour le moment, après un premier bilan avec les parents d’élèves de la classe, de conserver notre Synbox jusqu’à la fin de l’année. Un papa par exemple m’a dit son plaisir à entendre les chansons travaillées, à voir les histoires lues ou les danses et rondes apprises par son fils, quand les seules paroles imprimées ou photos collées dans le cahier de vie ne permettent pas de chanter ensemble, de danser ensemble à la maison. Il a exprimé avoir une meilleure représentation de ce qui se passait en maternelle, du travail qu’on y menait à travers les vidéos-tutos que je leur adresse en ce moment, et avoir ainsi une meilleure idée de comment aider son petit garçon. Ça m’a fait sacrément réfléchir. Je pense du coup utiliser la Synbox chaque année désormais.


Article proposé en partenariat avec :

ANCP&AF Paris : La place, le rôle, la mission du conseiller pédagogique et plus largement des formateurs du 1er degré dans un système éducatif en perpétuelle évolution est une préoccupation constante et majeure de l’ANCP&AF, Association Nationale des Conseillers Pédagogiques et Autres Formateurs.

Cette association professionnelle, de statut loi 1901, vise principalement l’établissement entre ses membres de relations fondées sur la pratique de la coopération intellectuelle et de l’entraide professionnelle. Au sein de l’ANCP&AF Paris, les rencontres et formations de formateurs organisées se donnent pour objectif principal de permettre aux formateurs d’acquérir des gestes professionnels performants et innovants pour accompagner efficacement les professeurs des écoles dans leur mission, la réussite de tous les élèves.